Episode 4 – L’accueil des émotions

Voici la scène : votre enfant court puis tombe. Il se relève difficilement en pleurant et en regardant ses mains meurtries. 

Que pensez-vous à ce moment-là ? Que lui dites-vous ? 

Est-ce que vous pensez « il fallait bien que ça arrive ! » ou « oui, moi aussi je suis déjà tombé.e et je ne suis pas mort.e pour autant ». Est-ce que vous lui criez de loin « c’est rien, relève-toi ! Arrête de pleurer, t’as rien ! » ? Ensuite, vous vous approchez de lui, vous lui tapotez les mains pour enlever la terre ou la poussière puis vous lui dites « si t’as mal, il faut couper », puis « arrête de pleurer, tu n’as rien ». Vous pouvez même rajouter un « les garçons ça ne pleure pas. Regarde, est-ce que papa pleure ? ». 

Si vous vous reconnaissez dans cette description, en tant que parent aujourd’hui ou en tant que l’enfant que vous étiez, attendez un peu la suite. 

Je vous décris une nouvelle scène. C’est vous qui en êtes le personnage principal. Vous êtes adulte et vous avez passé un examen scolaire qui va vous permettre d’avoir une nouvelle qualification, ou vous avez demandé une augmentation à votre responsable hiérarchique ou vous avez candidaté à un poste ou encore vous êtes engagé.e dans une compétition sportive. 

Vous pouvez prendre n’importe quel exemple de souhait, de désir, d’objectif que vous vous êtes fixé et qui vous tient vraiment à coeur. Peut-être que vous vous êtes investi.e dans l’atteinte de cet objectif, dans la réalisation de ce souhait. Vous avez sacrifié des moments à réviser, à vous entraîner ou à travailler dur. Et, vous pensez qu’une fois que vous aurez ce que vous voulez avoir, que vous aurez accompli ce que vous voulez accomplir, votre vie sera différente. 

On pourra d’ailleurs reparler dans un prochain épisode de l’illusion que c’est d’attendre qu’un évènement se produise pour ressentir les émotions que l’on croit que l’on va ressentir à ce moment-là, mais là n’est pas le sujet. 

Et patatras, vous n’y arrivez pas. Vous n’êtes pas retenu.e au poste que vous convoitiez, vous n’avez pas les points nécessaires pour valider la qualification que vous vouliez obtenir ou pour réussir votre objectif sportif, vous n’avez pas l’augmentation que vous vouliez avoir, bref, c’est la cata. 

Là, j’imagine que vous vous sentez déçu.e, triste, désespéré.e… Peut-être que vous êtes en colère contre vous-même de ne pas avoir réussi, peut-être que vous êtes en colère contre les autres de ne pas vous avoir accordé ce que vous souhaitiez, peut-être que vous vous sentez coupable, peut-être que vous vous reprochez de ne pas avoir assez travaillé, de ne pas vous être assez entraîné… Peut-être que vous vous sentez débordé par toutes ces émotions et, vous vous mettez à pleurer. 

Et là, une personne importante dans votre vie, ça peut être votre conjoint.e si vous en avez un.e, un.e ami.e, un parent, vous dit « c’est pas grave, c’est rien. Il ne faut pas être déçu.e pour ça. Il y a des choses plus graves dans la vie ». 

Quels sont les effets du dénigrement des émotions ressenties ?

Que pensez-vous à ce moment-là ? 

Je pense que vous accueillez ça comme une douche froide. Vous vous dites « non mais attends, c’était super important pour moi et je n’ai pas réussi, je n’ai pas obtenu ce que je voulais. Je suis hyper déçu.e. J’avais prévu plein de choses une fois que j’aurais réalisé ce désir et voilà que tout s’envole. En fait, il ne me comprend pas du tout ! Il n’a absolument pas conscience de ce que ça aurait signifié pour moi d’avoir ça ». 

Vous vous sentez incompris.e, vous sentez que vos émotions sont bafouées par l’autre, comme si ça ne valait même pas la peine de les ressentir. Et pourtant, c’est votre réalité. Vous les ressentez ces émotions. 

J’ai un autre exemple qui m’arrive tout le temps et qui est bien plus léger que la situation que je viens de décrire, c’est le « j’ai froid » que je dis souvent parce que je suis hyper frileuse. Et là, mon conjoint, la plupart du temps mais ça arrive avec n’importe qui d’autre sort un « non, il ne fait pas froid ». 

Ok, mais moi j’ai froid ! Je sais que j’ai froid quand même ! A l’inverse, quand les autres ont chaud (mon conjoint également car nous n’avons pas du tout la même appréciation de la température), alors que moi, je suis bien, et qu’ils se plaignent qu’ils ont chaud, jamais je ne dirai qu’il ne fait pas chaud. Eux ils ont chaud, ok. Moi, je suis bien. Donc, je réponds que je suis bien.

Nier le fait d’avoir froid ou chaud, c’est nier l’expérience de la personne, son ressenti, qui n’est pas feint. Il est bien réel pour la personne qui l’expérimente. Vous pouvez tout à fait ne pas avoir le même point de vue mais ce n’est pas pour autant que ça n’existe pas pour l’autre personne.

Vous comprenez sûrement mieux maintenant ce que votre enfant ressent quand il exprime une émotion et que vous lui dites « non c’est rien ». J’ai pris l’exemple de la douleur parce que c’est plus parlant mais, ce n’est pas tout à fait une émotion. L’émotion serait plutôt la peur, la frustration, la déception que l’enfant a ressenti, induit par cette chute. Mais, ça fonctionne avec toutes les émotions. Que l’enfant soit triste, déçu, désemparé, en colère… Ça fonctionne. Lorsque l’émotion survient et que vous dites « c’est bon arrête ! » ou « c’est rien », vous lui refusez le droit de ressentir ces émotions. Comme quand vous n’avez pas l’augmentation que vous vouliez et qu’un proche vous dit « c’est bon, c’est rien ». 

Comment accueillir ses émotions ?

Donc, quand l’enfant pleure, en général, il pleure car il ressent quelque chose. Ça peut être de la douleur, de la peur, de la frustration… Essayez de comprendre pourquoi et nommez l’émotion pour lui. Si vous ne savez pas exactement quelle émotion viser, proposez-lui et ajustez en conséquence. J’en profite pour vous préciser que savoir accueillir les émotions passe avant tout par savoir nommer l’émotion ressentie très justement. Ce n’est pas seulement de la colère ou de la tristesse, mais certainement des nuances de ces émotions principales. C’est la raison pour laquelle j’ai élaboré une liste d’émotions que je vous mets à disposition lorsque vous vous abonnez à la newsletter. 

« Ah oui, ton copain ne peut pas venir car il est malade, tu es déçu.e car tu pensais passer tout l’après-midi avec lui. Peut-être que tu es triste aussi car tu voulais lui raconter plein de choses ! En plus, tu es fatigué.e donc ça augmente ton ressenti ». 

Quand il tombe et qu’il a l’air de s’être fait mal, vous pouvez lui dire « oh la la, tu t’es fait mal, et puis tu as eu peur aussi de te faire encore plus mal. Et tu es sûrement déçu.e parce que tes pieds n’ont pas fait ce que ta tête voulait faire… ». 

Je précise que quand les enfants tombent et pleurent un peu, en général c’est parce qu’ils ont eu plus peur que mal. Car quand ils ont mal, les pleurs ne sont pas les mêmes et les adultes qui sont autour réagissent immédiatement. 

Il ne faut pas en faire des tonnes non plus. Vous nommez l’émotion que vous pensez que votre enfant ressent mais ne restez pas bloqué dessus car il faut aussi aider votre enfant à passer à autre chose. 

Quelles sont les limites à l’accueil des émotions ?

Une précision : il y a des enfants qui sont de véritables acteurs. Ils vont tomber, pour continuer avec l’exemple de la chute, ils pleurent, voire ils hurlent. Ça vous inquiète beaucoup. Vous allez voir et vous voyez une égratignure ou même rien du tout. Et pourtant, l’enfant continue de hurler. Là, il est très possible qu’il fasse ça par habitude, pour attirer votre attention ou la monopoliser. A ce moment-là, vous êtes en droit de lui dire « stop”. Ça fait quelque chose comme « Arthur, tu es tombé, tu as dû avoir peur et tu t’es fait un peu mal. Mais un peu seulement. Là, je trouve que tu exagères donc calme-toi maintenant ». La difficulté va sûrement résider dans le fait de couvrir les cris de l’enfant. Vous pourrez ensuite reparler de cette situation avec lui, au calme. Vous pourrez lui dire « tout à l’heure quand tu es tombé, tu as eu peur de te faire mal, tu as sans doute été déçu aussi et tu as eu mal. Mais, je trouve que tu as crié trop fort. Tu peux manifester ta douleur, ta peur et ta déception mais pas à ce point-là. Essaye de le dire avec des mots au lieu de crier, comme ça papa/maman pourra mieux t’aider à passer ce mauvais moment ». 

Pourquoi accueillir les émotions de nos enfants ? 

Je suis prête à parier que vous, quand vous étiez enfant, les adultes autour de vous ne s’embêtaient pas à accueillir vos émotions. On vous rembarrait avec rudesse dans vos 22. Et pourtant, vous avez survécu. Oui, vous avez survécu. Mais est-ce qu’aujourd’hui, avec le recul que vous avez, vous sentez que c’était la bonne réponse ? Est-ce que vous ne pensez pas qu’un peu plus de bienveillance, d’écoute attentive, n’aurait pas été de trop ? Et est-ce que, aujourd’hui, vous arrivez à accueillir vos émotions, les gérer ? Est-ce que vous savez les reconnaître ? Est-ce que vous ne souffrez pas de ressentir des émotions qui vous dépassent ? 

Accueillir les émotions de vos enfants, c’est leur éviter tout cela. 

Accueillir leurs émotions, plutôt que de mettre un couvercle dessus et de les laisser comme ça, ça va les aider à le faire eux-mêmes. Progressivement, ils arriveront mieux à gérer leurs émotions, les émotions qu’ils vont ressentir toute leur vie. Ça en fera des enfants plus à l’écoute de leurs ressentis et des adultes plus à même de gérer leurs émotions. Des adultes qui ne se sentiront pas dépassés par des émotions trop extrêmes qui les « attaqueront » de plein fouet. 

Et des adultes qui comprennent mieux ce qu’ils ressentent, ça fait des adultes plus équilibrés, plus heureux, plus en alignement avec eux-mêmes. 

De plus, on se laisse souvent guidé par nos émotions mais de façon subie. Alors que lorsqu’on accueille nos émotions, lorsqu’on les comprend, on peut s’en servir comme un GPS. Nos émotions nous guident. Si on ressent des émotions positives comme de la joie, de l’amour, de la gratitude, de la plénitude, on continue à aller par là. En revanche, si on ressent des émotions négatives telles que de la peur, de l’anxiété, de la colère, de la frustration, de la déception, c’est que quelque chose ne va pas en nous et qu’il ne faut pas continuer à aller par là. 

Je vous précise aussi que quand on met un couvercle sur des émotions ou qu’on les cache sous le tapis, que ce soit les nôtres ou celles de nos enfants, ça ne fait pas disparaitre l’émotion, surtout négative, puisqu’on fait ça plutôt avec des émotions négatives. 

Je vais prendre en exemple la colère, qui est une émotion dévastatrice par excellence : si on se contient, elle reste. Elle prend peut-être des formes différentes que la colère initiale, mais elle est toujours là. Au contraire, il faut la gérer, la comprendre. Si nous sommes en colère, c’est qu’il y a une raison, une raison profonde, un besoin qui n’est sans doute pas écouté. 

Pourquoi accueillir les émotions de nos enfants ? 

Sachez enfin que nous, êtres humains, nous sommes censés pouvoir accueillir toutes les émotions de la palette des émotions. Il n’y a pas une émotion qui nous dépasserait, qui serait trop forte pour nous. Non, nous sommes en mesure de ressentir toutes les émotions. Et la bonne nouvelle, c’est que si nous sommes en mesure de ressentir toutes les émotions, nous sommes également en mesure de les accueillir, les gérer, les comprendre de façon consciente. Tout cela dans le but de nous sentir mieux, en alignement avec nous-mêmes, en compréhension avec les autres. 

L’indépendance émotionnelle

Enfin, sachez que nous sommes responsables des émotions que l’on ressent. Lorsqu’une situation se présente, nous ne sommes pas obligés de nous mettre en colère, d’être triste, déçu ou de rire. Chacun réagit comme il veut. Et j’utilise bien le verbe « vouloir » car les émotions que l’on ressent sont un choix. Un véritable choix. Il peut être inconscient mais il n’en demeure pas moins que c’est un choix. 

Donc, quand notre enfant hurle alors qu’il n’a rien, nous pouvons faire le choix de ressentir de l’agacement, de la déception ou faire le choix de ressentir de la compassion, de la bienveillance. 

Pour résumer : 

  • accueillir les émotions est une façon de vraiment comprendre l’autre. 
  • Nommer les émotions que les enfants peuvent ressentir a pour effet de leur apprendre à appréhender ce qu’ils ressentent, ce qui leur permet de mieux gérer leurs émotions. 
  • C’est un apprentissage qui leur sera utile toute leur vie et que l’on peut commencer, nous adultes. 

Pour faire cela, je vous invite à repérer les moments où inconsciemment vous interdisez à vos enfants de ressentir des émotions. Et à les rendre conscients. Observez votre réaction la prochaine fois que votre enfant tombe, se cogne. C’est très révélateur et je pense que c’est suffisamment fréquent pour que vous puissiez le repérer rapidement. Observez quelle est votre réaction et votre piste d’amélioration en fonction de ce que je viens de vous dire. Peut-être que vous n’en avez pas et je vous en félicite, mais peut-être que vous en avez et il n’est jamais trop tard pour s’améliorer.

Et n’oubliez pas de travailler votre vocabulaire émotionnel grâce à la liste d’émotions que j’ai élaborée pour nommer plus justement l’émotion en question. 

coach parental