L’absence d’un tiers séparateur est souvent la cause de dysfonctionnements familiaux pour lesquels mes coachés viennent à moi.
J’ai presque l’impression de dire un gros mot quand je parle du tiers séparateur. Il y a clairement deux courants. Celui qui ne jure que par le tiers séparateur et celui qui, au contraire, le dénigre. Pour ceux-là, ce serait une question de mode, de culture plus évoluée, une connerie de progressiste féministe qui voudrait que le père de leur enfant s’implique plus, comme si c’était mal.
Bon, autant vous dire qu’il n’en est rien. La fonction du tiers séparateur, la fonction paternelle, n’est pas une nouveauté et n’est certainement pas une question de mode. C’est une réalité. Qu’elle vous plaise ou non, elle existe…
J’ai entendu parler du tiers séparateur assez longtemps, finalement, après la naissance de mon fils. Comme je le dis souvent, quand mon fils est né, il y a eu plein de choses que je ne savais vraiment pas faire. Et la répartition des rôles entre mon mari et moi en a fait partie. Pour moi, mon mari s’occupait de moi et moi je m’occupais de notre bébé. Je pense que c’est un fonctionnement qui est adapté dans les premiers jours voire mois du bébé. Mais pas au-delà car il est facile pour une mère, c’est l’expérience que j’ai vécue, mais je sais qu’elle concerne de nombreuses jeunes mères, il est facile de se dévouer totalement et exclusivement à son bébé en occultant tout le reste. Et on s’occupe tellement bien et beaucoup de son bébé qu’on anticipe toutes ses demandes, tous ses besoins (ce qui est primordial dans les premières semaines, évidemment, mais qui ne l’est plus après), on ne vit que pour lui et tout le reste est secondaire. Tout le reste, c’est soi-même, son équilibre, ses envies, ses besoins, sa vie de couple, sa vie sociale, et parfois, sa vie professionnelle.
Le tiers séparateur est alors la personne qui nous sort de cette exclusivité, de cette fusion. Et il a raison de le faire car un tel fonctionnement sur le long terme n’est pas sain.
Je parle, là, de ma propre expérience et de l’expérience de nombreuses mères. Mais cet état d’exclusivité peut également être tenu par le coparent.
Qu’est-ce que le tiers séparateur ?
Je voudrais revenir un peu en arrière pour vous expliquer ça avec un peu plus de théorie. Le tiers séparateur est l’apanage du rôle du Père.
C’est le moment pour moi de vous parler des rôles du Père et de la Mère. J’écris Père et Mère ,lorsque je parle de rôle, avec des majuscules, car même si ce sont des expressions genrées, le rôle de la Mère, n’est pas forcément tenu par la maman biologique et le rôle du Père n’est pas forcément tenu par le papa biologique.
Ces rôles fonctionnent également avec des parents adoptants, avec des beaux-parents et aussi avec des couples parentaux homosexuels.
L’idée est que dans chaque couple parental, il y ait l’un des deux qui occupe le rôle du Père et l’autre, le rôle de la Mère. Ça peut fonctionner lorsque les parents sont séparés mais la difficulté, vous me voyez venir, réside dans le cas où l’un des deux parents n’est pas là.
Le rôle de la Mère est le plus souvent joué par la maman et vice versa. Mais ce n’est que dans une majorité des cas. Il existe des situations dans lesquelles, lorsque les deux parents sont présents et que c’est un couple hétérosexuel, que le rôle de la Mère est tenu par le papa et le rôle du Père est tenu par la maman. Ça ne fait aucune différence !
L’important est qu’il y ait les deux ! C’est fondamental pour le bon développement de l’enfant.
Au-delà de l’individu qui l’incarne.
Graciela Crespin, dans son ouvrage l’épopée symbolique du nouveau-né, décrit la position maternelle comme fournissant le substrat. Pendant les neuf mois de la gestation, le bébé ne vit que de ce que lui donne sa mère biologique. La mère et le foetus ne forment qu’un seul être. Ainsi, à la naissance, il est difficile pour la mère et l’enfant d’être deux êtres différents. La mère pense pour son bébé, elle sait pour lui comme elle sait pour elle. Il y a une continuité biologique entre le corps de la mère et celui de l’enfant.
Graciela Crespin décrit la position paternelle comme un opérateur psychique de séparation. Le père n’a jamais conçu le bébé comme soi, mais comme un autre être, dès le départ. Le bébé n’est pas, pour le papa, une partie de lui-même. Seul le Père, la figure paternelle, a une capacité séparatrice et régulatrice de la toute puissance primordiale de la mère. C’est donc lui, le tiers séparateur.
Quel est l’intérêt d’avoir un tiers séparateur ?
Et c’est cet équilibre entre les deux rôles qui va créer un environnement de développement satisfaisant pour le bébé. Un environnement qui permettra à l’enfant de se développer en tant qu’individu à part entière, c’est-à-dire distinct de sa Mère, de développer ses capacités sociales, et donc d’être adapté socialement, ce que tout parent souhaite du plus profond de son coeur… Mais aussi, développer son autonomie, et tout un tas d’autres compétences qui font un enfant au développement satisfaisant.
Car si le tiers séparateur n’est pas présent, si l’autre parent, l’autre que celui ou celle qui joue le rôle de la Mère, ne joue pas celui du Père, il y a une carence. Cette carence, comme toutes les carences, va entraîner des conséquences.
Si le tiers séparateur n’est pas là ou si le rôle paternel n’est pas incarné par le coparent, la Mère va être complètement fusionnelle avec son enfant et ne va pas lui permettre de se développer en tant qu’individu à part entière, en tant que personne différente de la Mère. Cette carence-là va, de fait, entraîner une difficulté de séparation. Alors, cette difficulté de séparation peut entraîner plusieurs troubles ou difficultés et c’est très embêtant car des séparations, il va y en avoir plein !
Il y a la séparation réelle si je puis dire, quand l’enfant est séparé physiquement de sa mère. Je pense par exemple à la situation dans laquelle l’enfant est confié à une autre personne que la Mère pour que la Mère puisse vaquer à ses occupations.
Il y a aussi une séparation qui arrive au moins une fois par jour : l’endormissement. L’endormissement est une séparation comme je l’explique dans les épisodes 12 et 13 consacrés au sommeil. Si vous devez rester à côté de votre enfant pour qu’il puisse s’endormir, c’est sûrement qu’il y a une angoisse de la séparation chez lui ou elle. Mais ce n’est pas le seul symptôme. Ce n’est pas parce que votre bébé s’endort facilement qu’il n’a pas d’angoisse de la séparation car cette angoisse peut prendre plusieurs formes et durer dans le temps, pendant plusieurs années.
Cette absence de tiers séparateur et cette angoisse de la séparation peut également provoquer une peur de l’abandon plus forte. Lorsque votre enfant ne veut pas se séparer de la Mère (avec une majuscule encore), c’est également qu’il a peur de ne plus jamais la revoir.
Ces rôles ne sont pas innés. Rien n’est inné de toute façon lorsqu’on a des enfants. Donc, si le coparent n’incarne pas ce rôle, il n’est pas trop tard !
Comment reconnaître un Père qui n’est pas dans son rôle ?
En observant la Mère et le bébé et plus largement la dynamique familiale. Est-ce que la Mère est la seule, tout le temps à s’occuper du bébé ? Est-ce que le Père régule les ardeurs de la Mère ? Est-ce que la Mère laisse à son coparent de la place pour avoir une relation à trois ? Est-ce que le Père se désintéresse de ce qui se passe au moment présent ? Est-ce que le Père n’est que dans un rôle fonctionnel d’assistant de la Mère, c’est-à-dire qu’il fait ce que la Mère lui demande mais pas plus et surtout pas des choses différentes ?
C’est une situation qui peut très facilement s’installer. Si la Mère semble savoir un peu plus ce qu’il faut faire avec le bébé, le Père peut facilement se mettre en retrait et se laisser guider, parce que c’est plus tranquille pour lui, mais pas forcément. Le Père peut également se sentir dépassé par la situation, ne pas savoir où est sa place et quelle place il doit prendre, ou aussi parce que la Mère est un peu plus commandante/dirigeante et que le Père ne veut pas s’imposer au risque de provoquer un conflit qu’il veut absolument éviter vu tout ce que la Mère vit en ce moment. Ce que je veux dire c’est que le Père qui n’est pas dans son rôle, qui n’est pas à sa place de père, ne le fait pas forcément pour ne pas se mouiller et continuer à avoir sa petite vie tranquille. Il peut le faire en pensant bien faire.
Il parait que l’enfer est pavé de bonnes intentions !
Alors, si le tiers séparateur n’a pas sa place, comment faire pour inverser la tendance ?
D’après Graciela Crespin, le Père doit, pour incarner véritablement son rôle, poser des limites et des interdits à la Mère. La Mère pourra ensuite en poser à son enfant. Et le Père doit également poser ces mêmes limites et interdits à l’enfant.
Tout cela est un peu théorique et je n’aime pas trop l’idée que l’un des parents pose des limites et surtout des interdits à son coparent… Ça me parait un peu bizarre, entre deux adultes, d’autant qu’ils ont décidé de faire leur vie ensemble, de s’interdire des choses.
Bref, l’idée derrière ça, c’est que le Père doit calmer les ardeurs de la Mère à trop s’occuper de son bébé, à être trop exclusive. Il doit lui rappeler que même si son bébé a une place primordiale dans sa vie, sa vie ne doit pas tourner exclusivement autour du bébé.
C’est lui rappeler qu’elle a une vie sociale, qu’elle a des passions et des envies et qu’elle a également une vie de couple.
Tout cela en douceur évidemment pour ne pas brusquer la Mère.
C’est aussi dire à la Mère quelque chose comme « là, maintenant, c’est moi qui m’occupe du bébé parce que j’en ai envie, parce que j’ai envie de construire une relation avec mon enfant, d’être présent pour lui ». J’en profite pour vous dire qu’il est très important pour chacun des parents d’avoir des moments partagés seul avec son enfant, et ce, peu importe l’âge.
C’est aussi se concerter, s’entendre et trouver un accord sur la façon dont vous élevez votre enfant, sur les décisions que vous prenez à son sujet, sans laisser toujours la Mère décider.
En bref, c’est instaurer un équilibre entre les deux coparents, chacun ayant sa spécialité, si je puis dire, mais que les deux parents soient sur le même plan vis-à-vis de leur enfant. La communication entre les deux parents n’est pas toujours évidente…
Pour résumer,
les parents peuvent tenir deux rôles, chacun un. Il y a celui de la Mère et celui du Père. Le rôle de la Mère est le plus souvent tenu par la maman biologique et le rôle du Père est le plus souvent tenu par le papa biologique, le géniteur, mais, ce n’est pas forcément toujours le cas. Ces deux rôles peuvent être indifféremment tenus par le papa, la maman, biologique ou non et également dans les couples homosexuels ou dans les familles recomposées. J’insiste vraiment sur ça, sur le fait que ce n’est pas qu’une question de genre et de biologie.
L’important est que ces deux rôles soient représentés et tenus. A défaut, ça peut créer des carences qui peuvent causer à l’enfant un développement différent et le plus fréquemment une angoisse de la séparation.
Pour que le tiers séparateur, qui est donc dans le rôle du Père, prenne sa place, il faut qu’il prenne ou trouve sa place dans la relation que la Mère a avec son bébé, qu’il empêche une trop grande exclusivité entre la Mère et son bébé.
Ecoutez d’autres épisodes du parcours d’écoute sur la parentalité :
- Notre impact sur les générations futures
- Ce que mon enfant représente pour moi
- Et les pères dans tout ça ?
Si votre famille dysfonctionne, c’est peut-être parce que chacun des membres n’a pas pris sa place. Je peux vous aider lors d’un coaching parental !